Par Javza (Javzandulam Bayanmunkh) le 26/04/2024
Entretien avec Manon Lelarge d'AVSF
Préambule :
En Mongolie, avec une population humaine dépassant à peine les 3 millions, le pays compte plus de 70 millions de têtes de bétail, dont 39 % sont des chèvres. Le cachemire issu de ces animaux est devenu une source majeure de revenu, entraînant une augmentation de leur nombre. Cependant, cette tendance a provoqué des problèmes environnementaux, notamment la désertification, car les chèvres arrachent l’herbe par les racines. Pour aider les nomades à surmonter ces défis et assurer la durabilité de la production de cachemire et de fibres naturelles, l'ONG française AVSF (Agronomes & Vétérinaires Sans Frontières) a mis en place un « projet de cachemire durable » en Mongolie.
- Présentation de Manon Lelarge et de son rôle :
Bonsoir, merci d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous vous présenter et expliquer votre rôle au sein d’AVSF ?
Bonjour, je m’appelle Manon Lelarge, coordinatrice nationale d’AVSF en Mongolie. Mon travail consiste à coordonner les initiatives et actions d’AVSF, rédiger des propositions de projets, trouver des financements, participer aux événements de mise en réseau et échanger des connaissances avec les parties prenantes et partenaires locaux.
- Présentation d’AVSF :
Pouvez-vous présenter brièvement AVSF, ses missions et sa vision ?
AVSF a été créé il y a environ 45 ans pour soutenir le développement et les droits des petits exploitants agricoles. Nous travaillons avec les petits éleveurs et communautés nomades pour démontrer l’importance de ce type d’agriculture pour l’approvisionnement alimentaire mondial et pour défendre leurs droits en négociant des prix équitables. Nous les guidons vers des pratiques agricoles et agroécologiques durables.
- Présence d’AVSF en Mongolie :
Pourquoi AVSF a-t-il lancé son premier projet en Mongolie ?
Nous sommes présents en Mongolie depuis 2004. Initialement, AVSF a contribué à une étude de faisabilité qui a révélé la nécessité de soutenir les éleveurs mongols dans le domaine de la santé animale. Nous avons mis en place des collectifs d’éleveurs pour faciliter l’accès aux services vétérinaires et, progressivement, nous avons étendu notre soutien à d’autres domaines comme la chaîne de valeur du cachemire.
- Objectif principal d’AVSF en Mongolie :
Quel est l’objectif principal d’AVSF en Mongolie et la nature de ses projets ?
Nous sommes dans une phase de transition avec la fin de plusieurs grands projets. Nous continuons à travailler avec des coopératives sur la chaîne de valeur du cachemire et de la viande, et nous démarrons un projet sur les produits laitiers à partir du lait de yack.
- Potentiel du duvet de yak :
Le duvet de yack est une fibre remarquable. AVSF envisage-t-elle de nouveaux projets sur le yak à l’avenir ?
- Durabilité du cachemire :
Qu’est-ce que la durabilité et comment la définir dans le contexte du cachemire ?
La durabilité dans la chaîne de valeur du cachemire implique de réduire le nombre de bêtes pour éviter la dégradation des pâturages. Cela comprend aussi la gestion des ressources en eau et la biodiversité. La durabilité économique est également essentielle, et les consommateurs doivent être prêts à payer un prix plus élevé pour des produits durables.
- Implication des entreprises :
Comment des entreprises comme « Mes Chaussettes Mongoles » peuvent-elles faire la différence ?
Les entreprises peuvent entrer dans des partenariats de commerce équitable, s’engager dans des relations à long terme avec les éleveurs, donner une partie de leurs bénéfices aux coopératives pour des projets sociaux, et raconter l’histoire derrière les produits qu’elles commercialisent.
- Défis de la durabilité :
Quels sont les principaux défis que doivent relever les éleveurs et AVSF pour atteindre ces objectifs de durabilité ?
Le principal défi est de réduire le nombre d’animaux. Il est difficile de convaincre les éleveurs de réduire leur troupeau en raison des coûts de la vie et des revenus insuffisants. De plus, le marché doit être prêt à payer plus pour des produits durables.
- Importance des coopératives :
Comment fonctionnent les coopératives et quels sont leurs avantages ?
Les coopératives permettent aux éleveurs de travailler ensemble, d’améliorer leurs connaissances et de mieux négocier les prix. Elles peuvent aussi mettre en œuvre des projets sociaux et assurer la traçabilité des produits.
- Situation des coopératives avant l’intervention d’AVSF :
Connaissez-vous la situation et l’existence des coopératives en Mongolie avant l’intervention d’AVSF ?
À l’époque soviétique, les coopératives étaient détenues par l’État. Après la fin de cette ère, il y avait peu d’intérêt pour les coopératives. AVSF et d’autres acteurs ont aidé à créer et soutenir de nouvelles coopératives, maintenant estimées à environ 5 000 en Mongolie.
- Modèle du "changeur" :
Je connais des éleveurs qui vendent leur cachemire à un prix inférieur à celui du marché en raison d’un manque d’information. Quelle est votre opinion à ce sujet et comment les coopératives peuvent-elles aider ?
Les "changeurs" offrent de l’argent liquide rapidement, ce qui est tentant pour les éleveurs. Cependant, ils paient souvent un prix bas et ne différencient pas les qualités de cachemire. Les coopératives permettent de mieux trier et négocier des prix plus justes.
- Connaissance des différentes qualités de cachemire :
Les éleveurs connaissent-ils les différentes qualités de cachemire ?
Oui, cela dépend beaucoup du marché. Les éleveurs peuvent trier le cachemire par couleur et qualité pour répondre aux exigences des acheteurs, ce qui leur permet de fixer des prix différents selon la qualité.
- Principaux défis pour la durabilité :
Quels sont les principaux défis que doivent relever les éleveurs et AVSF pour atteindre ces objectifs de durabilité ?
Le principal défi est de réduire le nombre d’animaux. Les éleveurs sont réticents en raison des risques financiers et du coût de la vie en hausse. De plus, le marché doit être prêt à payer plus pour des produits durables.
- Dilemme entre durabilité et coût :
Nous ne pouvons pas avoir une production durable et bon marché en même temps, n’est-ce pas un dilemme ?
Exactement. Réduire le nombre de chèvres nécessite que le prix du cachemire augmente pour compenser les pertes de revenus, mais peu de consommateurs veulent payer ce prix plus élevé.
- Défi de la gestion commune des pâturages :
Comment gérer les pâturages quand certains éleveurs réduisent leur troupeau et d’autres non ?
Les pâturages sont un bien commun. Si certains éleveurs réduisent leur troupeau, mais pas leurs voisins, l’impact reste élevé. La gestion collective et des incitations pour tous sont nécessaires.
- Impacts du changement climatique :
Quels impacts le changement climatique a-t-il sur les projets de durabilité ?
Le changement climatique rend les conditions imprévisibles, affectant la qualité et la quantité de cachemire. Les éleveurs doivent s’adapter constamment, ce qui complique les efforts de durabilité.
- Mesures législatives pour soutenir la durabilité :
Quelles mesures législatives pourraient être prises pour soutenir la durabilité ?
Le gouvernement doit imposer des prix minimums pour le cachemire, limiter le nombre d’animaux par éleveur, et soutenir les services locaux. Cependant, cela nécessite des fonds et des capacités que le gouvernement mongol n’a pas toujours.
- Rôle d’AVSF dans les cadres législatifs :
AVSF est-elle impliquée d’une manière ou d’une autre dans ces cadres législatifs ?
Pas directement, mais nous travaillons avec des partenaires locaux pour faire des suggestions au gouvernement. Nous espérons intégrer des composantes de plaidoyer dans de futurs projets.
- Paiement équitable des éleveurs :
Pouvez-vous nous en dire plus sur le prix du cachemire et l’implication d’AVSF dans le paiement équitable des éleveurs ?
Depuis 2018, les revenus des éleveurs travaillant avec nous ont augmenté de 10 %, et ils reçoivent toujours un bonus par rapport au prix du marché.
- Nouvelle législation sur l’exportation de cachemire :
Quelle est votre opinion sur la nouvelle législation stipulant que seul le cachemire traité et propre doit être exporté ?
Cela peut apporter une valeur ajoutée à l’industrie mongole, mais cela dépend des capacités de traitement des industries locales et de la gestion des ressources comme l’électricité et l’eau.
- Réalisations depuis le début des opérations :
Pouvez-vous mentionner d’autres réalisations depuis le début des opérations en Mongolie, comme la gestion des pâturages ?
Les éleveurs travaillent ensemble, les coopératives fonctionnent démocratiquement, et ils améliorent leurs connaissances en tri, négociation des prix et traçabilité des matières. Ils mettent en œuvre des actions pour une meilleure gestion des pâturages, mais nous n’avons pas encore mesuré l’impact de ces actions.
- Certification et traçabilité :
Pouvez-vous nous en dire plus sur les certifications et la traçabilité ?
Nous avons développé une certification adaptée au mode de vie nomade, mais elle n’a pas encore de reconnaissance officielle. Nous travaillons à fusionner cette certification avec le code de pratiques « Responsible Nomads » pour obtenir une reconnaissance internationale.
- Autre certification :
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’autre certification dont il est question ?
Il s’agit du code de pratiques « Responsible Nomads », développé par la Fédération nationale des groupes d’utilisateurs de pâturages. Nous avons créé une ONG, Nomadic Legacy of the Steppes, pour promouvoir cette certification fusionnée.
- Complexité du développement des certifications :
Cela semble être un travail complexe et compliqué.
Oui, mais cela en vaut la peine. Les certifications existantes comme la certification biologique ne sont pas adaptées à la Mongolie. Nous avons besoin de quelque chose de spécifique au mode de production nomade du cachemire.
- Importance d'une nouvelle certification :
La Mongolie fournit environ 40 % du cachemire brut mondial. Une nouvelle certification sera une grande réussite.
Oui, cela sensibilisera davantage au cachemire de Mongolie et favorisera des pratiques durables et équitables.
- Contribution des entreprises :
Comment voyez-vous les petites et grandes entreprises apporter leur contribution ? Par exemple, « Mes Chaussettes Mongoles » ?
Les entreprises peuvent s’engager dans des partenariats de commerce équitable, donner une partie de leurs bénéfices pour des projets sociaux, promouvoir la traçabilité et l’histoire des produits, et soutenir les coopératives en participant à des foires et événements.
- Nouveaux projets et avenir d’AVSF en Mongolie :
Qu’en est-il des tendances futures et des nouveaux projets ?
Nous continuerons à soutenir le mode de vie nomade, en partenariat avec les OSC locales. Nous envisageons également de collaborer avec des pays voisins pour partager des solutions innovantes et renforcer notre réseau.
- Conclusion :
Notre entretien a été très instructif. Enfin, je vous remercie d’avoir pris le temps de discuter avec nous de ce sujet important et d’avoir partagé vos opinions.
Merci à vous. C’était un plaisir de partager notre travail et nos objectifs pour un cachemire durable en Mongolie.
Cet entretien avec Manon Lelarge met en lumière les défis et les solutions pour une production de cachemire durable en Mongolie. Le rôle d’AVSF est crucial pour soutenir les éleveurs nomades et promouvoir des pratiques agricoles durables. Les entreprises et les consommateurs ont également un rôle clé à jouer dans cette démarche en soutenant des pratiques de commerce équitable et en valorisant les produits durables.